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Trois frères dans la Grande Guerre
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29 août 2015

L'héritage Beroud

                 François, fantôme parmi les fantômes ... Enigmatique. Transparent. Transparence de ta blondeur. Transparence de tes yeux bleus. Transparence de l'homme qui se dissout dans les brumes du temps.

"... au lieu-dit La Forest." indique l'acte de naissance de François Beroud.

"La Forest, c'est sur la route de Meaux la montagne." précise mon hôte, guide et ami, après une rapide recherche.

          Il fait tout gris ce matin-là, lorsque nous nous mettons en route, aux confins du haut Beaujolais et des Monts du Lyonnais. Blanzac sous la pluie, Modane au beau soleil d'août. Pour Saint-Bonnet-le Troncy, ce sera un temps un peu terne mais doux comme les reliefs que nous traversons en direction du village. Etrangement, sur le chemin, nulle émotion ne m'étreint. Serais-tu donc si loin, François, que la rencontre ne puisse se faire ? Toute cette route pour ne pas même percevoir l'écho lointain de ta présence ?

        Col de la Croix Nicelle. De là, la chaussée plonge sur Saint-Bonnet, gros chat roux, trapu, tout en rondeur, pelotonné à flanc de coteau. Nous y voilà.

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A l'entrée, à main droite, le cimetière escalade la pente et s'étire vers la hauteur. Le monument aux morts, austère mais bien entretenu, trône au centre d'un village où il est bien difficile de se garer : les rues sont étroites, les maisons serrées les unes contre les autres comme pour se protéger des intrusions hostiles.

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1914 : BEROUD Claude Auguste

1915 : BEROUD Claude Marie

Oui, Claude au lieu de François. Faudra-t-il donc oublier jusqu'à son nom ? Cette erreur me trouble un peu plus encore et c'est le moment de se rendre à l'église. En ces temps où, à la campagne, la religion était, ne serait-ce qu'en façade, incontournable, une église est un repère sûr. Il y est passé, c'est certain, et quelque chose de lui y demeure forcément.

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L'édifice est rond et doré, l'intérieur gorgé d'une lumière bienfaisante qui éclaire avec beaucoup de douceur une plaque aux morts de la guerre.

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François BEROUD

        Enfin. Un pas vers lui. Un beau baptistère en pierre noire, polie, occupe une place centrale devant la porte principale. Quelqu'un l'a tenu là, nouveau-né et quelque chose comme une pointe de tendresse fait vibrer l'air alentour.

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           En route pour La Forest, direction Meaux la montagne. Le hameau est presque à mi-distance entre les deux villages. Il nous apparaît au détour d'un virage, le petit panneau bleu marine faisant foi. C'est donc là ... Quelques maisons dans la pente, en contrebas de la route. Le coeur bat plus vite, j'effleure du doigt ce qu'a pu être sa vie. Nous décidons d'aller plus loin prendre un peu de recul pour photographier l'endroit avant d'y revenir.

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Juste après la Forest, avant de longer une plantation d'épicéas, la route décrit un joli virage qui émeut toujours mon coéquipier. Elle coupe un pré fendu d'un ruisseau, à sec à ce moment-là. "C'est exceptionnel. A cause de la sécheresse. Et tu verrais le pré, au printemps... Il y a des fleurs de toutes les couleurs. C'est magnifique." Je pense à François, à ce que fut sa vie. Exceptée la plantation, récente, me voilà au coeur de son univers.

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Clichés dans la boîte, nous revenons vers La Forest où le miracle s'opère. Au bord de la route, deux hommes s'affairent autour d'un tracteur et d'une tonne à eau. Je bondis, le coeur battant.

" Bonjour.

- Bonjour.

- Excusez-moi, est-ce que je peux prendre quelques photos ?

- Ca dépend, pourquoi vous voulez prendre des photos ?

           J'explique.

- B'roud ?

- Oui, ça se prononce peut-être comme ça. Beroud, B'roud ...

- Comment vous l'écrivez ?

- B E  R O U D

- Oui, c'est bien ça, répond l'homme qui m'avait fait répéter pour être sûr de ne pas se tromper. Beroud. Ici, on dit B'roud. L'héritage B'roud, c'est ça. C'est mon père qui l'a acheté à une dame xxxxxx de Villié Morgon.

    L'information se grave dans ma tête, piste de recherche potentielle. Lui, il se nomme Plasse. Intelligent, sensible à ma démarche. Il essaie de comprendre pourquoi. " Pour comprendre", justement. Il aurait fallu ajouter "pour porter la mémoire" mais les idées se brouillent sous l'effet de l'excitation et prendre le temps de la réflexion est impossible.

- L'héritage Beroud, c'est le petit bois, là-bas, en face. Mais vous allez être déçue, la maison est en ruines. C'est un tas de pierres.

   Moi, déçue ? J'exulte, au contraire, je touche au but. L'émotion est à son comble et je bois les explications qu'il me fournit.

- Vous pouvez y aller, si vous voulez. Prenez le chemin en face. Vous le voyez ? Vous verrez une ficelle bleue, c'est là, sur la gauche."

   Après m'être confondue en remerciements, je me précipite vers la voiture où mon guide m'attend patiemment et nous voilà partis vers le virage cher à son coeur tandis que je lui fais le récit de notre conversation. Voilà le chemin. Nous montons sur quelques dizaines de mètres dans la sapinière avant d'apercevoir une ficelle. Mauve. Ce qui n'a aucune importance. Un autre chemin part en effet sur la gauche, nous l'empruntons sur une trentaine de mètres et tombons sur les ruines.

  " Ben mon François... Il reste aussi peu de ta maison que de ton corps."

  Sa présence reste peu palpable mais l'émotion est là, intense. C'est ici. Précisément. Chez lui. Une toute petite ferme, vraisemblablement.

  Nous nous recueillons, nous escaladons les tas de pierres, lorsqu'arrivent le tracteur et la tonne à eau. L'homme saute en marche et vient nous voir.

"Y'a d'l'émotion, hein ?" lance-t-il.

  Oh oui, et le dire n'est rien !

- Ici, c'était la maison, là une petite étable. Et là, la cour."

     Je le remercie encore, et le voilà reparti aussi lestement qu'il est arrivé.

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     Pour nous aussi, c'est le moment de quitter les lieux. Je ramasse une petite pierre, une relique ... Nous retraversons La Forest, Saint-Bonnet et nous arrêtons au pied du cimetière. Sait-on jamais. Les lieux sont vite arpentés, nous avons fait chou blanc. Pas de sépulture Beroud, rien d'étonnant à cela.

"C'est la fin d'une histoire, soupire, mélancolique, mon compagnon. Pas de tombe, plus de maison, plus de famille."

        Il a raison. Qui porte encore la mémoire de François Beroud, soldat au 158è RI né à Saint-Bonnet-le-Troncy le 3 mars 1892, mort pour la France devant Angres le 18 octobre 1915 ? Qui lui garde encore une place au chaud dans son coeur ?

 

Merci à Christophe Dargère pour m'avoir conduite sur les lieux, à Didier Plasse sans qui rien ne se serait produit.

Sources : registres d'Etat Civil, saint Bonnet le Troncy

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Commentaires
R
Merci pour ce retour qui me touche également. Un partout !
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L
Beau récit. L'émotion est palpable
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E
Très belle balade et très beau texte, comme toujours. (Et heureuse de te savoir en vie...)
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