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Trois frères dans la Grande Guerre
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4 mars 2020

François Beroud, un corps perdu

                " Aucun résultat pour cette recherche " affiche laconiquement le site Sépultures de guerre lorsque, dans le formulaire de recherche, on entre l'identité de François Marie Beroud. Pas plus loquaces, les liasses de procès verbaux d'exhumation que recèlent les archives départementales du Pas de Calais. Il est des fois où l'on doit se résoudre à accepter le presque inacceptable, cette absence totale de corps comme la négation même de son existence, un dernier coup du destin : tellement mort, François Beroud, qu'il n'en est rien resté si ce n'est dans le souvenir des siens. Il fut pourtant, le jeune domestique de St Bonnet le Troncy, ce fut même un grand jeune homme tout blond, au visage large éclairé d'un regard gris-bleu, un jeune homme de son temps.

       Aux confins des Monts du Lyonnais et du Beaujolais, la commune éparpillée en une multitude de hameaux compte à la naissance de François, le 3 mars 1892, un bon millier d'âmes. C'est à la Forest qu'est installée la famille Beroud. C'est là que sont nés, dans un milieu vraisemblablement très modeste, François, son jeune frère Claude, le 2 juin 1893, et enfin, Marie Catherine, la petite soeur, venue au monde le 14 décembre 1894. Claude Marie, le père est agriculteur (fileur de coton au recensement de 1890), né à La Chapelle de Mardoré d'un père lui-même originaire de Saint-Bonnet, cardeur de son état, dans un pays où l'industrie textile à son apogée, souvent complétée par une agriculture de subsistance, fait vivre beaucoup de monde. Rose Marie Chignier, la mère, sans profession, est originaire de Ranchal où tous deux se sont mariés le 7 novembre 1890.

     François Béroud est incorporé au 158è Régiment d'Infanterie de ligne le 9 octobre 1913, régiment lyonnais d'origine, il est depuis le mois de septembre caserné dans les Vosges : le 1er bataillon à Fraize, le 2ème -auquel il appartenait vraisemblablement- à Bruyères et le 3ème à Corcieux. 9 mois durant, l'existence du jeune homme est celle de presque tous les jeunes gens de son âge : celle d'un soldat à l'instruction. Le 26 juillet 1914, la mobilisation étant imminente, le régiment entier qui se trouvait  rassemblé pour des exercices au camp du Valdahon dans le Doubs est renvoyé dans ses cantonnements, le 27 les permissionnaires sont rappelés tandis que dès le 1er août arrivent les réservistes de la zone frontière. C'est l'effervescence, une effervescence qui se lit jusque dans le JMO de la 43è DI à laquelle appartient le régiment : on réquisitionne les chevaux, on charge les voitures puis les 2è et 3è bataillons se portent sur les emplacements de couverture, au col du Plafond à l'Est de Corcieux.

  Après la couverture des Vosges, c'est l'épouvantable offensive d'Alsace, le col de la Chipotte qu'un chasseur du 21è BCP qualifia sans hésitation de "pire que Lorette" avant que le régiment n'entame le 24 août un meurtrier et épuisant repli. Le 2 septembre, après avoir reçu un renfort de 996 hommes, ce qui dit assez l'étendue de l'hécatombe, la troupe embarque dans des trains pour la région de Saint Dizier, en pleine retraite de la Meuse à la Marne. Pendant ce temps, le 133è RI subit lui aussi des pertes effroyables dans le secteur de Saulcy. Près de 1200 hommes sont hors de combat, dont Claude qui y laisse la vie et ses 21 ans.

 

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          Il sera après la guerre inhumé à la Nécropole Nationale de Saulcy sur Meurthe, dont la création est évoquée en ces termes dans La Croix de la Drôme du 7 août 1921 : "A Saulcy sur-Meurthe, à six kilomètres de Saint-Dié, un nouveau cimetière militaire vient d'être créé. En contre-haut de la route qui mène à Mandray, on voit se profiler sur le bleu du ciel la première rangée de ses croix blanches."

 

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         Pour François, c'est ensuite la Champagne, après d'éprouvants combats, notamment à Sompuis. Les hommes marchent sans arrêt, ils sont épuisés et souffrent d'une soif terrible. L'offensive de la mi-septembre autour de Souain alourdit encore le bilan des pertes. "Pertes très sensibles", notamment du fait d'un violent bombardement, peut-on lire en toutes lettres dans le JMO du régiment le 15 septembre."Les pertes de la journée sont très sensibles" répète quelques lignes plus loin le rédacteur du journal, ce qui sonne comme un euphémisme.

     Puis le régiment embarque pour la course à la mer, il débarque entre Lens et Lille où il protège le débarquement du 21è Corps d'Armée, est engagé avec les Anglais, puis se bat en Artois dans un secteur où il reviendra pour une année complète en décembre 1914. A la mi-novembre, en partance pour la bataille d'Ypres, le régiment reçoit un renfort de 1000 hommes : blessés guéris, réservistes, jeunes soldats de la classe 14, parmi lesquels Urbain Cressent, affectés dans un premier temps à une autre compagnie.

     A partir de là, les deux jeunes gens cheminent de conserve, jusqu'à cette brumeuse matinée du 18 octobre 1915 où tous deux perdent la vie. Jusqu'au mois de décembre 1914, le parcours de François est vraisemblablement celui de son régiment mais ni sa fiche matricule lapidaire ni le JMO de son régiment qui ne portait pas encore à cette période-là l'état des pertes ne permettent d'exclure totalement une évacuation pour blessure ou maladie.

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 Puis vient le mystèrieux cheminement des corps. Léon Morel et Urbain Cressent, exhumés côte à côte reposent à La Targette, de même que Paul Guéry exhumé quant à lui deux mois plus tard. Etienne Charvoz, retrouvé au Fossé aux Loups, dort à Aix-Noulette. En 1922, Jean Août quittait le bois en Hache pour rentrer au pays. Comment ces hommes, tombés dans un mouchoir de poche et dans des circonstances dépourvues de toute confusion, pouvaient-ils se trouver ainsi dispersés ? En 1917, le secteur est à nouveau labouré par les combats et c'est sans doute à ce moment que disparaissent les restes de François Béroud, jeune domestique du Rhône, et Rémy Didier, cantonnier dela Drôme, évaporés au vent de la guerre. Une question subsiste cependant, lancinante, à laquelle permettraient de répondre les CCB égarés du GBD43* : où furent-ils inhumés dans un premier temps, en cette mi-octobre 1915 ? En quel lieu de la terre d'Artois poussent donc les herbes folles qui, aujourd'hui encore, nous parlent un peu d'eux ?

 

 *Les CCB, Carnets du Champ de Bataille étaient tenus par les brancardiers divisionnaires (GBD43 = Groupe de Brancardiers Divisionnaires de la 43è Division d'Infanterie) et recensaient toutes les tombes des soldats inhumés par leurs soins. Ils étaient établis en 3 exemplaire : un feuillet pour l'institution militaire, un autre pour la mairie du lieu d'inhumation, le dernier restant à la souche. La majeure partie est malheureusement égarée ou archivée dans des lieux inconnus.

Sources : AD62 : PV d'exhumations, cotes 2492W et 2533 W. Mairie de St Bonnet le Troncy : registres d'Etat-Civil, AD 69 : registres matricules, cote 1RP1177, registres d'Etat Civil, cotes 4E15488 et 4E10516. Memoire des Hommes : JMO du 21 CA, cote 26 N 195/2. JMO du 158è RI, cotes 26 N 700/10 et 26 N 700/11. Historique du 158è RI, numérisation P Chagnoux. Historique du 133è RI

Merci à Lionel, qui a bien involontairement réveillé mon enthousiasme et relancé mes recherches. Merci à Alain Chaupin pour m'avoir éclairé sur le devenir des corps inhumés dans el secteur de Lorette, à Jean-Charles du forum pages 14-18 pour la photographie à la nécropole de Saulcy sur Meurthe.

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