Jean Marc Bernard
Toussaint, jour du souvenir ... Dans la mythologie celtique, la nuit de Samain, la Toussaint des Celtes, était celle où les portes s'ouvraient entre le monde des vivants et celui des morts, entre le monde visible et le monde invisible. Pour cette nuit si particulière, voici un poème de Francis Carco, adressé à son ami Jean Marc Bernard, mort pour la France à Souchez le 9 juillet 1915. Quelques mots d'un Carco qui culpabilisait d'avoir vu partir les copains tandis que, lui, échappait à la guerre.
Jean Marc Bernard, fantassin de la Drôme tombé en 1915 en Artois, Jean Marc Bernard, qui, dans la cohorte des artilleurs qui fréquentaient ce "petit bar", vit peut-être passer, parmi ceux du 6ème RAC, Henri Didier, de Pierrelatte. Etrange communauté de destin, qui vit Rémy, le frère aîné d'Henri tomber à un cheveu dans le temps, à un cheveu dans l'espace, de Jean Marc Bernard. Un texte pour trois.
Mais quel long cri morne et funèbre,
Quel âpre appel désespéré
Lamentant un "miserere"
Monte de l'opaque ténèbre ?
Jean-Marc, Dauphinois au coeur fier,
Je reconnais dans la tranchée
Ta voix ardente et desséchée
Par tous les brasiers de l'enfer.
Ombre farouche et douloureuse,
Reviens-tu parmi les roseaux
Du Rhône aux bondissantes eaux
Dont les vagues tumultueuses
Te charmaient mieux qu'un chant d'oiseau
Ou t'emplissaient de frénésie
Lorsque, debout, les regardant,
Tu te sentais tout débordant
De cette amère frénésie
Qui bouillonnait avec ton sang ?
Il est quelque part, dans Valence,
A l'abri de ses volets clos
Un petit bar auquel je pense,
Plein d'artilleurs et de tringlots.
La patronne faisait la fête :
Elle chantait en t'attendant.
Tu entrais en baissant la tête ...
Jean-Marc Bernard, où est ce temps?
Tu partis sans vaine bravade,
Avec ton plus cher compagnon.
Ton quart tintait sur ton bidon
Comme celui des camarades
Entassés dans d'affreux wagons.
Peu à peu le bruit du canon
Résonnait à la cantonnade...
Petit soldat, dis-moi ton nom !
L'oeil au créneau de la tranchée,
Hâve, épuisé, hagard, transi,
Les mains crispées sur ton fusil,
L'âme absente, comme arrachée,
Voici que point ton dernier jour.
Dépose enfin toute espérance,
Hélas ! Comme un fardeau trop lourd,
Jean-Marc Bernard mort pour la France.
Francis Carco, In La bohème et mon coeur, Albin Michel
En voici une version arrangée et chantée par Marc Robine, sous le titre "A l'enseigne du temps perdu". Elle vaut par la voix fragile de l'interprète, lequel a fait le choix de mettre bout à bout, voire de mêler, plusieurs textes de Carco, évoquant chacun un copain disparu, et d'en gommer les noms pour tendre à l'universel.
http://www.deezer.com/fr/music/marc-robine/poetique-attitude-47576